En découvrant le rôle clé d’une hormone dans le contrôle de l’appétit et de la quantité de glucose dans le sang, le chercheur ouvre la voie à une réparation du pancréas. Pour guérir demain le diabète?
Enfant, Vincent Prévot ne pensait que zoologie: « J’étais passionné par le monde animal. Quand mon père a été muté cinq ans en Amérique du Sud, j’ai découvert la nature avec un grand : à 11 ans, je passais des heures à observer les scorpions », confie-t-il amusé. La déforestation de l’Amazonie, déjà, le révolte. À son retour en France, un serpent en guise d’animal de compagnie à la maison, il devient le plus jeune membre de la Société d’herpétologie (qui étudie les reptiles). « J’avais envie de comprendre comment le cerveau contrôle le mystérieux cycle de procréation des reptiles, dans l’espoir de favoriser leur reproduction, y compris en captivité. » Il mesure aujourd’hui à quel point cette passion fut une parfaite introduction à la méthode scientifique.
« J’ai vu l’hormone de la satiété migrer jusqu’aux neurones »
Manipuler les animaux en voie de disparition, serpents, oiseaux est interdit? Le chercheur s’inscrit en faculté de biologie et multiplie les stages en écophysiologie, discipline étudiant les animaux dans leur milieu naturel. Thèse en poche, il passe trois ans aux États-Unis, et creuse la question du rôle du cerveau dans la reproduction, espèce humaine incluse. « La baisse flagrante de la fertilité humaine, par exemple, ne s’explique pas juste par le recul de l’âge du désir de grossesse, la chute de la quantité et de la vivacité des spermatozoïdes, ou l’impact des perturbateurs endocriniens. J’étais convaincu du rôle clé des messages hormonaux envoyés par l’organisme au cerveau. »
À l’époque, les connaissances sur le passage de la barrière sang-cerveau sont balbutiantes. Cette barrière est réputée aussi infranchissable qu’une porte blindée, excepté pour l’oxygène et les substances (sucre…) nourrissant les tissus cérébraux. Désormais à la tête d’une équipe Inserm de neuroendocrinologie au CHU de Lille, Vincent Prévot passe au crible les moyens de transport disponibles: parmi eux, des cellules nommées tanycytes se révèlent capitales. « En 2014, j’ai vu de mes yeux la leptine, hormone de la satiété dite ‘coupe-faim’, s’accrocher à un transporteur tanycyte pour acheminer ses informations jusqu’aux neurones », décrit-il les yeux brillants. » En rendant la leptine fluorescente, nous avons pu reconstituer son voyage: produite dans les tissus adipeux (graisses) et libérée dans le sang, elle est pompée par les tanycytes dans les vaisseaux sanguins et larguée dans le liquide céphalo-rachidien pour prévenir le cerveau que l’organisme est rassasié. » Cocorico! L’équipe lilloise est la première à le démontrer. Elle va aller encore plus loin.
Les rongeurs régulent à nouveau leur appétit
D’abord en étudiant un trouble hormonal méconnu, le syndrome des ovaires polykystiques, première cause d’infertilité féminine, via les travaux de son collègue lillois Paolo Giacobini. Les femmes touchées souffrent parfois aussi d’excès de pilosité (jusqu’aux « femmes à barbe »), d’hypertension et de diabète. Au fil de trois études, les chercheurs démontrent que ce dérèglement trouve sa source, non pas dans les ovaires comme on le pensait, mais dans un défaut de programmation du cerveau du fœtus dans le ventre maternel. » Nous avons mis à jour une défaillance cérébrale responsable d’une production excessive de testostérone qui freine l’ovulation et favorise le diabète », résume-t-il. Chez les souris ayant une alimentation trop riche en graisses, le cerveau semble en effet devenir sourd au signal de satiété, envoyant des messages inadéquats « j’ai encore faim! », jusqu’à générer une obésité morbide. » Au fil des manipulations, il est apparu qu’en délivrant la leptine directement dans le cerveau, les rongeurs régulent à nouveau leur appétit, redevenant moins obèses! La maladie n’est donc pas liée à la leptine mais à son transporteur », conclut Vincent Prévot.
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Le cerveau reprend le contrôle du pancréas
Reste à rétablir la bonne livraison de la leptine qui, comme toutes les hormones, agit à l’image d’une clé devant trouver la bonne serrure pour s’activer. « Nous avons identifié à la surface de la cellule tanycyte un récepteur hormonal nommé LepR: quand nous l’ôtons par voie transgénique, rien ne va plus. Les souris doublent leur masse graisseuse en trois mois et perdent du muscle. » Or qui dit perte musculaire dit excès de sucre dans le sang, les muscles ne brûlant plus assez de sucre. En quelques semaines, sans LepR dans les tanycytes, une résistance au glucose s’installe. Au début, le pancréas sécrète de l’insuline pour compenser, puis il s’épuise: le diabète est installé. » La bonne nouvelle, que nous avons publiée dans Nature Metabolism en 2021, c’est qu’en réinjectant la leptine dans le liquide céphalo-rachidien, le cerveau reprend le contrôle du pancréas, et l’organisme retrouve une bonne santé. Le diabète est donc aussi une maladie du cerveau« , note Vincent Prévot dans un sourire. Si les résultats sur l’homme se confirment, l’espoir d’un traitement par leptine permettrait non plus de compenser la déficience (comme avec les piqûres d’insuline) mais de rendre cette fois l’organisme à nouveau opérationnel. Une révolution!
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